« Le personnel est le plus grand trésor d’une entreprise »

Vincent Ducrot dirige les CFF depuis une année. Dans cet entretien, il fait le point sur sa première année, dévoile les priorités pour 2021, et explique pourquoi ses enfants lui permettent aussi de prendre le pouls de l’exploitation.

Temps de lecture: 9 minutes

Remarque sur les images: certaines prises de vues ont été effectuées avant les réglementations sur le port du masque ou selon un strict respect des concepts de protection.

Depuis une année, tu es CEO des CFF. Peux-tu décrire ta première année en trois mots ?
Corona. Perte. Satisfaction.

Le mot « satisfaction » paraît étonnant dans le contexte de cette année difficile…
J’ai constaté des progrès dans beaucoup de domaines: nous avons une bonne maîtrise de nos ressources, la satisfaction du personnel a augmenté et il y a beaucoup de collaborateurs très motivés dont je suis très fier. Malgré une année difficile, il y a donc aussi de la satisfaction.

Le coronavirus domine la vie professionnelle et privée. Tu arrives à ne pas y penser ?
Bien sûr ! Je vis avec, je m’adapte, comme tout le monde. Je regarde le côté positif des choses. Ma foi, il faut trouver la manière de faire en jonglant entre télétravail et bureau. Ce qui me manque le plus, c’est la vie sociale.

La pandémie a changé notre manière de vivre et de travailler. Qu’est-ce que tu souhaites continuer dans « l’après-corona » ?
Pour les CFF, c’est l’agilité. Nous avons réussi à avancer hors des structures et procédures parfois un peu lourdes. Nous avons travaillé de manière agile et c’est quelque chose que nous devons conserver et développer pour le futur. J’apprécie beaucoup cette manière de fonctionner : regrouper les compétences autour d’un sujet et travailler ensemble pour avoir rapidement un résultat.

Compte tenu des importantes pertes financières, les économies sont à l’ordre du jour. Tu vois des risques ?
Non ! Le Conseil d’administration et la Direction ont décidé de continuer à investir dans notre cœur de métier. Les CFF continueront à acheter des trains, à rénover leurs gares et à développer et moderniser leurs infrastructures et leur immobilier. La clé est de nous concentrer sur nos compétences, de le faire bien et de manière la plus efficiente possible. Il faut que chacun apprenne à faire ses tâches avec moins de moyens. Ce sera un défi, mais je maintiens : aujourd’hui, je ne vois pas de risques. Contrairement à d’autres entreprises, nous n’avons pas l’obligation de diminuer des milliers de postes ou de lancer un programme massif d’économies.

Comment faire en sorte que la qualité et la sécurité ne souffrent pas de ces mesures d’économie ?
Ce n’est pas là que nous allons économiser, bien au contraire. La sécurité est la base du métier CFF. On n’y touche pas. En ce qui concerne la qualité, nous avons beaucoup investi pour améliorer la ponctualité et on continuera à le faire.
Je suis convaincu que nous pouvons économiser sans que le développement et la pérennité de l’entreprise soient mis en danger. Pour donner un petit exemple : je reçois un grand nombre de rapports dont je me demande quelle est leur vraie nécessité. De plus, les CFF ont investi dans des innovations qui ne sont pas liées à notre activité première. Là aussi, on peut économiser.

En parlant de « pérennité » : les CFF, sont-ils toujours un employeur d’avenir ?
Tout le monde va devoir économiser, même les branches dites « peu touchées ». Il n’y a pas de miracle. Mais nous restons un employeur très attractif. La preuve : les RH ont reçu environ 78 000 dossiers de candidature en 2020. C’est énorme ! (NDLR : En 2019, les CFF ont reçu environ 69 000 dossiers.) Nous avons des projets magnifiques et nous continuons à développer l’entreprise, mais de manière plus focalisée et efficiente.

Les résultats de l’enquête auprès du personnel 2020 étaient meilleurs que ceux de 2019. Cela t’a mis sous pression ?
Pas du tout. Je suis très proche du personnel. Je pense que le personnel est le plus grand trésor d’une entreprise. Il faut donc favoriser son développement et lui offrir des conditions de travail optimales. Quand je suis arrivé aux CFF, j’ai essayé de redonner confiance, de remettre les compétences ferroviaires en avant et d’avoir un contact proche du personnel. C’est ma manière de faire, et cela restera ma manière de faire tant que je serai là.

«Malgré une année difficile, il y a aussi de la satisfaction»
Vincent Ducrot, CEO CFF

Tu as lancé la devise « Ensemble pour les CFF ». Qu’est-ce qu’elle signifie pour toi ?
Quand je suis arrivé, j’ai trouvé que les divisions cherchaient à s’optimiser pour elles-mêmes. La seule chose qui compte, c’est le développement des CFF de manière globale – et pas d’une unité.

Bien que les CFF aient été plus ponctuels en 2020, l’exploitation ferroviaire a présenté des lacunes importantes : manque de mécaniciens, annulation des trains… Quels sont les plus grands chantiers aujourd’hui ?
D’abord, il faut disposer du personnel qui est nécessaire pour réaliser notre mission: mécaniciens, agents de trains, ingénieurs, etc. Nous avons été très critiqués pour le manque de mécaniciens et nous sommes en train de corriger la situation.

L’horaire est le deuxième défi. Aujourd’hui, il n’y a pas les réserves suffisantes pour répondre à une forte charge de clients, tout en assurant la modernisation du réseau qui a aussi un impact sur l’horaire. En conséquence, la ponctualité baisse. Nous n’arriverons pas à stabiliser l’horaire d’un coup. On va devoir le faire dans les prochaines années, pas par pas, en concertation étroite avec l’OFT et les cantons.

Le troisième point concerne le matériel roulant. Nous avons eu trop de soucis de fiabilité. Même si ça va mieux aujourd’hui, il nous reste du travail. En plus, nous n’avons pas assez de trains à disposition à cause du retard de la livraison des trains Bombardier. Il faut terminer ce programme et acheter de nouveaux trains pour faire en sorte d’avoir une flotte suffisante et performante. Cela nous permettra de nous séparer des véhicules les plus anciens qui tombent facilement en panne.

La planification de nos chantiers est un autre défi. Nous devons faire en sorte qu’ils aient l’impact le plus faible possible sur l’exploitation et donc sur notre clientèle.

Le cinquième gros chantier est le futur de CFF Cargo. CFF Cargo continue à perdre de l’argent. La crise du coronavirus a amplifié des problèmes connus que nous devons résoudre.

Et à l’intérieur de l’entreprise ?
Nous devons préparer notre futur. Il s’articulera principalement autour de trois grands projets clés : Remplacer le monde SAP actuel par un environnement SAP plus standardisé et modernisé. C’est un dossier extrêmement stratégique et c’est une énorme tâche. Deux projets au niveau des divisions sont couplés à ce projet.

Chez Infrastructure, le projet TMS (Traffic Management System) doit nous permettre de mettre en œuvre les processus de l’horaire à l’enclenchement avec un seul système et une seule base de données.

Chez Voyageurs, nous avons pour objectif une production intégrée, c’est-à-dire que nous entendons planifier les ressources en personnel et en véhicules d’un seul tenant.

Quel est l’horizon pour la mise en œuvre de ces projets ?
Mon objectif est 2025. C’est un énorme défi, mais ces projets nous permettront de digitaliser notre entretien, notre production et notre planification et d’être beaucoup plus efficaces.

Quelle est la recette pour relever ces défis ?
Se concentrer sur ces défis et ne pas faire 100 000 choses à côté. Il faut que nos meilleurs collaborateurs s’occupent de ces tâches pour avoir des résultats rapides.

Quel est le rôle des innovations pour ce faire ?
Les innovations doivent être au service de notre cœur de métier : le chemin de fer. Par exemple : l’automatisation de l’accroche des wagons marchandises ou EasyRide, qui a un impact direct sur les clients. Nous avons refocalisé notre portefeuille d’innovations et beaucoup d’innovations sont en cours – mais elles ont toutes un lien direct avec notre activité.

Peu après ton entrée en fonction, tu as créé la nouvelle unité centrale « Clients ». Comment définirais-tu un client satisfait ?
Un client satisfait est un client qui reprend le train. Aujourd’hui, la clientèle attend un service de qualité : sûr, ponctuel, répondant à son attente. En cas de perturbation, elle s’attend à être bien informée. Nous investissons dans ces éléments. Et nous allons renforcer l‘orientation Clients. C’est pourquoi, en accord avec le Conseil d’administration, la Direction a décidé de séparer Voyageurs en deux divisions. Le but°? Renforcer la présence du client au centre de nos préoccupations. Ce sera le rôle de l’unité «Marché Voyageurs».

En tant que client, tu as déjà été mécontent ?
Malheureusement oui. En plus, je reçois les retours de mes enfants, utilisateurs réguliers du train. Ils sont de bons indicateurs pour moi pour savoir si notre exploitation marche bien. Quand mon fils m’envoie un message « train supprimé » en me demandant ce qui se passe et que je suis incapable de lui répondre ou de trouver des informations dans nos systèmes, c’est un signe de dysfonctionnement. Cela dit, on est bon dans 95% des cas, et il y a 5% des cas où on doit être meilleur. Cela me tient beaucoup à cœur : nous améliorer, ensemble.

Pour conclure, quels sont tes trois mots clés pour 2021 ?
Reconquête de notre clientèle, maîtrise des coûts et enthousiasme.

Reconquête de notre clientèle, car je suis d’avis que la crise va se résorber grâce aux vaccins. Les gens voyageront à nouveau en transports publics. Le rail est un moyen de transport respectueux du climat qui a de l’avenir, j’y crois fermement.

Maîtrise des coûts, y compris à la sortie de crise. Nous aurons perdu environ 617 millions de francs en une année à cause du coronavirus et nos commanditaires disposeront de moins de moyens financiers ces prochaines années. Il s’agira donc de se serrer la ceinture intelligemment.

Et surtout : enthousiasme. Chacun relève les manches et nous y allons ensemble. Nous sommes 33 500 à faire avancer les CFF. Et si ces 33 500 arrivent à faire un tout petit mieux qu’avant, nous aurons beaucoup progressé comme entreprise.

Le magazine pour les retraités et les collabotrateurs actifs
Cette interview paraîtra également dans la prochaine édition papier du CFF News. Le magazine pour les collaborateurs actifs et les retraités des CFF sera distribué début avril dans divers lieux de travail et envoyé aux retraités. Le magazine paraît quatre fois par an en allemand, en français et en italien. Il est tiré à 21 500 exemplaires.